Alexandre Ansay,
directeur du CBAI
Entretien 12
A. Ansay apporte un témoignage qui doit être remis dans son contexte et qui a trait à une expérience. Son propos ne prétend donc pas à la généralisation car il existe des situations dans lesquelles les travailleurs sociaux parviennent à mettre en place des conditions favorables au déploiement d’un projet de qualité.
Il se réfère à une expérience qu’il a vécue au contact d’un dispositif de politique publique régionale de prévention.
De façon générale, il considère que ces dispositifs, quand ils sont dominés par des logiques d’empêchement (prévenir la menace) et des objectifs négatifs, se révèlent contre-productifs: au lieu d’envisager les jeunes comme potentiellement menaçants, il est nécessaire de structurer une proposition éducative structurée sur ce que Tobie Nathan appelait le «pari de l’autre», c’est-à-dire faire le pari de ce que les «jeunes peuvent devenir».
Il prône une politique de prévention éducative collective, moins centrée sur le suivi individuel, le quel n’est pas inutile mais limité dans la mesure où le travail en groupe peut être un levier éducatif puissant.
Pour lui, les jeunes très vulnérables, sont tentés par des offres séduisantes (par exemple de radicalisation ou de grande délinquance). Il faut pouvoir leur offrir:
- des expériences fortes, transformatrices, qui travaillent sur le corps et sur l’esprit (notamment par des composantes culturelles), et les emmener sur des terrains de dépassement; il emploie l’image du serpent se cognant à des pierres pour perdre sa peau;
- des expériences de spiritualité où peut se travailler la transmission: de qui, de quoi suis-je l’héritier? L’héritier étant celui qui peut résister à des visions catégorisantes qui s’appliquent sur lui.
Une telle politique de prévention éducative doit selon lui assumer d’être un dispositif d’influence, qui s’autorise à perturber les représentations, à promouvoir un décentrement. Un tel dispositif doit accepter l’expression des préjugés, des croyances stéréotypales pour pouvoir les déconstruire: il s’agit de mettre en place des conditions qui ouvrent à la complexité du monde et des autrui qui l’habitent. Dans ce cadre, le travail éducatif doit être confrontant et les travailleur sociaux gagneraient à s’envisager comme des perturbateurs: «pour perturber, il faut accepter d’être perturbé par l’autre», et cela vaut également pour les travailleurs sociaux et les institutions qui les emploient. Cette perturbation n’a de sens que si elle donne lieu à une re configuration, à une reconstruction.
Cette approche, notamment interculturelle, est très difficile à déployer dans le cadre de politiques mettant la sécurité et la prévention de la criminalité en avant. On ne peut pas s’adresser à un jeune sous le prétexte de la dangerosité qu’il représente. C’est pourquoi, le CBAI interpelle les pouvoirs publics de façon à ce que les travailleurs engagés sur le terrain disposent de davantage de marges de manœuvre institutionnelle. Sous le contrôle étroit d’une supervision (dont l’absence se fait souvent ressentir) ils pourront de la sorte effectuer ces fameux «pas de côté» grâce auxquels ils parviennent à remettre de la cohérence dans leurs missions.